Fernand Crésy, poète du Chat Noir
Dans cette attente, voici une étonnante Ballade dédiée aux araignées – compagnes de mansarde pour le poète solitaire.
Au-dessus de l’armoire à angle du plafond,
Elles vivent en paix les bonnes araignées.
Le mur, humide et mou, se lézarde et se fond
En sueur dont se sont à la longue imprégnées
Les poutres de sapins que le ver a saignées.
Comme elles sont bien là, dans la sécurité.
De ce coin que le jour n’a jamais fréquenté,
Aussi, matin et soir, leur grise multitude
Pullule tout à l’air et grouille en liberté,
Tourbillonnant dans l’ombre et la solitude.
Tissandières en train, elles viennent et vont,
Ourdissant fil à fil leurs toiles bien soignées,
Ouatant de voiles fins, leur retraite sans fond.
Le long des ais pourris et des planches rognées,
On dirait des cheveux de vierges dépeignées …
Mais soudain, sous mes doigts, l’épinette a chanté …
Et toutes, écoutant avec avidité,
D’une danse bizarre entreprennent l’étude,
Oubliant trame à l’œuvre et gibier convoîté,
Tourbillonnant dans l’ombre et la solitude.
Souvent, m’interrompant de mon souci profond,
Arbre longtemps battu des arbres et des cognées,
Je lève mes regards pour voir ce qu’elles font,
Vers ces sœurs que jamais mon cœur n’a dédaignées,
Et je sens mes douleurs s’adoucirent, résignées :
Doux peuple, plein de grâce, en son activité,
Ami de la musique et de l’étrangeté,
Que chérissent mon deuil et mon inquiétude ;
Ainsi je les contemple, avec fraternité,
Tourbillonnant dans l’ombre et la solitude,
ENVOI
Tels, les remords velus ont en foule habité
Mon âme d’où la joie hélas ! a déserté.
Se faisant d’un repos une chère habitude,
Ils tendent d’un lac noir tout mon être attristé,
Tourbillonnant dans l’ombre et dans la solitude.
Fernand Crésy, Panurge, 1882, n°10.
Le poème fut illustré par Henry Detouche.